La barque
Il gèle et des arbres pâlis de givre clair,
montent au loin, ainsi que des faisceaux de lune;
au ciel purifié, aucun nuage; aucune
tache sur l'infini silencieux de l'air.
Le fleuve où la lueur des astres se réfractent
semble dallé d'acier et maçonné d'argent;
seule une barque est là, qui veille et qui attend,
les deux avirons pris dans la glace compacte.
Quel ange ou quel héros les empoignant soudain
dispersera ce vaste hiver à coups de rames
et conduira la barque en un pays de flammes
vers les océans d'or des paradis lointains?
Ou bien doit-elle attendre à tout jamais son maître,
prisonnière du froid et du grand minuit blanc,
tandis que des oiseaux libres et flagellant
les vents, volent, là-haut, vers les printemps à naître?
Emile Verhaeren (les bords de la route)